Morgane Freire

Questionnement nocturne

2020

Film d’environs 6 minutes

« Pourquoi sait-on quelle sensation cela procure de voler alors qu’aucun être humain ne l’a déjà expérimenté ? Est-ce nos rêves qui nous l’on inculqué ? Peut être a-t-on déjà tous été oiseau dans une autre vie ? Hélas ces questions resteront sans réponses. Ce que je sais c’est qu’un être humain habituellement libre, en confinement, finit par céder à tout sorte d’extrêmes.

Cela fait une semaine que je suis chez moi possédant tout le temps possible et imaginable pour faire tout ce que mon emploi du temps habituel ne me permet pas de faire. Pourtant je ne trouve rien de mieux à faire que de regarder des films que j’ai déjà vu un millier de fois et qui ne me procurent pas plus de plaisir qu’a mon premier visionnage. Je me retrouve à esquiver les mails des professeurs pour jouer à des jeux que je n’aime pas vraiment sur internet. Je me retrouve à regarder les passants dans la rue imaginant ce qu’ils peuvent bien faire dehors en temps de confinement. Puis j’imagine que leur grand-mère doit être seule, qu’elle ne peut pas sortir de chez elle pour aller faire des courses et qu’ils vont lui apporter de quoi se nourrir pour qu’elle ne prenne pas le risque de sortir. Je vois des enfants jouer avec un ballon et comprends qu’ils sont juste sortit pour ne pas s’entre-tuer à rester en confinement. J’écoute mes voisins applaudir les soignants de leurs fenêtres, sachant bien que les concernés n’ont pas que ça à faire d’écouter des gens applaudir dans le vide. Et quand je pars trop loin dans mes réflexions, je reviens à la raison et je me dis qu’il faudrait que je travaille. Je relis les mails des professeurs et repense aux devoirs que je dois envoyer. Mais tout ceci me semble vain. Je relis les attentions de l’équipe pédagogique qui nous disent qu’il ne faut pas sombrer dans l’isolement. C’est trop tard. Quand je lis ces mots, je me rends compte que je suis déjà la victime de mon isolement et que ce n’est pas un mail envoyé qui va me faire sentir moins seule.

Alors je pense. Je pense à ma vie, aux vies de tous les habitants de la planète qui se mettent en pause le temps de la pandémie. Le temps s’arrête. Je pense à toutes ces personnes dans certains pays à risque où la notion du temps a disparu depuis bien plus de temps que je ne puisse m’en rendre compte. Et là je réalise que nos vies ne sont peut-être qu’illusion.

Je détourne mon attention des mails du personnel de l’école et regarde un film pour me vider la tête. Matrix. Si je savais que ce choix me pousserait encore plus loin dans mes réflexions, l’aurais-je tout de même regardé ? Matrix, c’est le film où un homme prends conscience que la réalité telle qu’on la connaît n’est qu’une prison mise en place par une intelligence artificielle afin de se nourrir de notre énergie pour vivre à son tour. Une énième fiction où le bien et le mal ne peuvent pas exister l’un sans l’autre. Mais évidement en temps de confinement, ce n’est pas cette métaphore sur l’équilibre de la vie qui attire mon intérêt. Non, moi je m’imagine dans un monde où la pandémie va nous dépasser, une dystopie apocalyptique dans laquelle nous ne serions qu’au premier chapitre. Pénurie de PQ et autorisation de sortie seraient le sujet principal de la première partie de ce livre à deux euros dans une boutique d’aire d’autoroute. Il ne manque plus qu’une histoire d’amour compliquée pour rendre l’intrigue plus intéressante. Mais en me rendant compte que cette dystopie se rapproche trop de la réalité, je n’achèterais même pas ce livre. Il faudrait que cette histoire se passe dans l’espace, que la pandémie soit une race d’aliens sanguinaire et qu’une pénurie de vivres soit le grand problème de la société intergalactique dans laquelle nous vivons (sans oublier l’histoire d’amour impossible qui peut rester tel qu’elle est). Peut-être que dans ce cas ce livre deviendrait un best-seller.

En attendant, je viens de finir un film, assise sur mon canapé, à la recherche de Morphée, me demandant pourquoi je sais quelle sensation cela procure de voler. »